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Les tensions mémorielles de la guerre d’Algérie

[ Photo : Le 20 janvier 2021, l’historien Benjamin Stora remet le rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie au président Macron. Source : lexpress.fr, afp.com, Christian Hartmann ] 

« Un passé douloureux, un avenir incertain » : l’Algérie a été une colonie au statut très particulier puisqu’elle faisait partie intégrante de la France sous la forme de trois départements. En effet, au lendemain de la Toussaint Rouge du 1er novembre 1954, qui marque un tournant majeur dans l’histoire de l’indépendance de l’Algérie, le ministre de l’intérieur de l’époque, François Mitterrand, rappelle que « L’Algérie c’est la France ! ». Lorsque la guerre s’achève le 19 mars 1962 par la signature des accords d’Évian, s’ouvre une période où les deux États vont devoir gérer les mémoires de cet épisode de leur histoire nationale. Aujourd’hui encore, le débat mémoriel de la Guerre d’Algérie continue d’empoisonner les relations bilatérales.

Une lente et complexe construction mémorielle

Après la guerre, le gouvernement français sous l’égide du président Charles de Gaulle, souhaite rapidement tourner la page du drame algérien. L’oubli est ainsi organisé par toute une série de lois qui, entre 1962 et 1982, amnistient les auteurs d’exactions et d’actes de torture. Il y a une volonté institutionnelle d’occulter une période durant laquelle les Français furent largement divisés. Depuis, les années 1960, les gouvernements français successifs refusent d’employer l’expression « guerre d’Algérie », jusqu’en 1999 où l’assemblée nationale reconnaît que le conflit était une « guerre ». Au sommet de l’État, on préfère alors recourir à des euphémismes, en parlant par exemple des « événements d’Algérie ».  

Toutefois, à partir des années 70, c’est le temps de l’anamnèse : la prise de conscience des mémoires refoulées. En effet, les anciens combattants Algériens regroupés dans les associations influentes, comme le FNACA (Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie), obtiennent le statut d’ancien combattant en 1974,  et la « marche des beurs » en 1983, qui regroupe des membres de la communauté maghrébine, enfants de Harkis et enfants membres du FLN (Front de Libération Nationale), manifestent ensemble afin de réclamer une reconnaissance réelle dans la société française. Puis, en 1983, la guerre d’Algérie est intégrée dans les manuels scolaires. Parallèlement, un travail des historiens et cinéastes s’opère dans les années 70 : En 1972, par exemple, l’historien Pierre Vidal Naquet publie La torture dans la république. Cet ouvrage, par le biais d’une véritable recherche historique, vise à établir les faits, à les expliquer et à les faire sortir de l’ombre, en dénonçant notamment l’usage de la torture.

   A partir de la décennie 90, on assiste à une accélération dans l’élaboration du travail mémoriel : en 1992 les archives de la guerre sont ouvertes, en 2002 Jacques Chirac inaugure le mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, puis, en 2012, François Hollande, durant une visite officielle en Algérie, parle de la « souffrance du peuple algérien » et évoque la torture. L’Etat reconnaît le massacre du 17 octobre 1961.

Néanmoins, le conflit des mémoires persiste : en 2005, la promulgation de la loi Mekachera en France fait scandale car elle propose que soit reconnu le « rôle positif de la présence française en Afrique du nord ». L’Algérie reproche alors à la France de ne pas avoir présenté d’excuses officielles et réclame la repentance de la France. De plus, en 2007 un mur est inauguré à Perpignan portant les seuls noms des morts européens de la guerre. En 2012, le Front National condamne l’intervention de Nicolas Sarkozy qui reconnaît que la « guerre a aussi meurtri les Algériens » et souhaite une condamnation des porteurs de valises du FLN. La journée souvenir  « des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie » est de même contestée car elle prend pour référence le cessez-le-feu du 19 mars 1962. Les opposants estiment qu’elle passe sous silence les Européens et les Harkis tués après le cessez-le-feu par les Algériens. 

Sous le mandat d’Emmanuel Macron, plusieurs initiatives ont visé à resserrer les liens diplomatiques entre les deux pays. Par exemple, en juillet 2020, Paris avait fait un geste envers Alger en restituant les crânes de 24 résistants algériens décapités au XIXe siècle lors de révoltes dans le sud de l’Algérie. En mars, la France a reconnu pour la première fois que l’avocat algérien Ali Boumendjel, mort en 1957, avait été torturé et tué par l’armée française lors de la Bataille d’Alger. 

Du côté de l’Algérie, on assiste à une persistance d’une lecture unique de la guerre par l’Etat Algérien : l’accès aux archives est interdit, les Harkis sont perçus comme des traîtres, les actes de violence reconnus sont limités aux seuls agissements des Français, le rôle du MNA (Mouvement National Algérien) et des Berbères est occulté au profit du rôle du FLN, tandis que les violences faites par le FLN, notamment contre les civils qui refusaient de payer « l’impôt révolutionnaire » sont ignorées. Toutefois, en 1995, le président algérien Abdelaziz Bouteflika réintègre les pères fondateurs du nationalisme algérien tels que Messali Hadj dans la mémoire nationale. Mais cette ouverture est rapidement remise en cause par le peuple Algérien. 

Le rapport Stora, un rapport controversé

Le président Macron a tenté de cicatriser cette « blessure mémorielle » en demandant à Benjamin Stora, historien engagé, un Rapport sur les questions mémorielles portant sur « la colonisation et la guerre d’Algérie » (20 janvier 2021) en vue d’une «réconciliation des mémoires ».

« Je souhaite m’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algériens. Le sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée » a déclaré le Président dans un entretien à France Inter.

«On a plus avancé sur le chantier mémoriel en quelques mois qu’en 60 ans », assure l’historien Benjamin Stora.

La rapport a suscité diverses réactions. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a convenu que Benjamin Stora « n’avait pas été dans l’excès, toujours proche de la vérité ». Il a également été bien reçu par le ministre de la communication Ammar Belhimer car la France y avait inscrit la «reconnaissance officielle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, perpétrés durant les cent trente ans de l’occupation de l’Algérie ». 

Néanmoins, le  5 octobre 2021, Emmanuel Macron a insisté sur le fait que beaucoup de personnes ont insulté et menacé Benjamin Stora. Ces critiques viennent du fait que selon les Algériens, le rapport ne leur est pas destiné mais qu’il a été écrit pour les français uniquement. C’est un « rapport franco-français », a affirmé l’historien algérien et directeur général des Archives Nationales, Abdelmadjid Chikhi. Il est ainsi considéré comme superficiel pour certains étant donné que la vision algérienne n’y est pas transcrite. La reconnaissance des « crimes coloniaux » notamment n’est pas abordée.

De nouvelles sources de tensions 

Ce début d’année 2021 a vu une réelle volonté de la part de l’Etat français de travailler à cette mémorialisation. Pour la première fois un président français a participé à une commémoration officielle : celle du massacre des Algériens à Paris du 17 octobre 1961, lors de laquelle des « crimes inexcusables pour la République » ont été commis. A l’occasion d’une cérémonie officielle, Emmanuel Macron a rendu hommage aux victimes.

Cependant, de nouvelles sources de tensions sont apparues récemment. D’une part, Emmanuel Macron a émis des doutes quant à l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation. Il a ainsi déclenché la colère d’Alger après avoir accusé le système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle » sur le conflit en servant à son peuple une « Histoire officielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités »  mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».

Le 2 octobre dernier, l’Algérie a donc déclaré une « ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures », considérant que la France n’avait pas à émettre quelconque jugement sur sa manière de procéder quant à leur politique de mémoire.

D’autre part, le président français a rendu hommage aux Harkis. Il est donc accusé d’instrumentalisation de l’histoire à des fins électoralistes. De plus, pour l’Algérie, la place des Harkis reste problématique car ils sont « ceux qui ont levé l’arme contre leur propre nation ».

Ainsi, les tensions sont diplomatiques puisque le président Tebboune a décidé de rappeler son ambassadeur, mais elles sont aussi  internes : le peuple algérien lui-même se sent visé.

Qu’adviendra-t-il dans les mois qui suivent ?

Ces blocages amplifient donc les tensions mémorielles. et interrogent donc sur ce qu’il pourrait advenir dans le futur. En effet, deux événements importants pourraient avoir un impact sur les enjeux de cette mémoire : la présidentielle française en 2022 et le 60ème anniversaire de l’indépendance algérienne la même année.

Le sujet de la mémoire autour de la guerre d’Algérie reste délicat. Pour beaucoup, c’est « un passé douloureux, un avenir incertain » (« France-Algérie : les vraies raisons de la brouille » Courrier international. Magazine numéro 1616 du 21 au 27 octobre 2021). 

 

Charlotte FANCHON & Laurie RUAU – EMA Aix 

 

Bibliographie

  • « France – Algérie : un passé douloureux », 17 octobre 2021

https://information.tv5monde.com/afrique/france-algerie-un-passe-douloureux

  • « France – Algérie : la réconciliation ne peut qu’être l’oeuvre d’une volonté politique », 8 mai 2021

https://information.tv5monde.com/afrique/massacres-du-8-mai-1945-et-guerre-d-algerie-la-reconciliation-ne-peut-qu-etre-l-oeuvre-d-une

  • « France – Algérie : les mémoires douloureuses, 31 mai 2021 »

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/france-algerie-les-memoires-douloureuses

  • «Deux conceptions s’opposent : France – Algérie, ce passé qui passe pas, 9 octobre 2021 »

https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/deux-conceptions-s-opposent-france-algerie-ce-passe-qui-ne-passe-pas_2160091.html

  • « La guerre d’Algérie au cœur d’une crise mémorielle », 27 octobre 2021

https://www.courrierinternational.com/article/la-lettre-de-leduc-la-guerre-dalgerie-au-coeur-dune-crise-memorielle 

  • « France-Algérie : les vraies raisons de la brouille » Courrier international. Magazine numéro 1616 du 21 au 27 octobre 2021