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Libye : 10 ans après, la guerre toujours aux portes de Tripoli ?

10 ans après les printemps arabes, la Libye est déchirée par une guerre civile qui semble sans fin. La nomination d’un nouveau tandem à la tête du pouvoir a révélé les difficultés profondes du pays à se réconcilier. Retour sur les divisions et les tentatives de paix dans la Libye post-Kadhafi.

Depuis 10 ans, la Libye piétine et se cherche. La réalité est que ce pays, tel qu’on le connaissait, n’existe plus. Toutefois, un nouvel espoir peut ramener la paix.

Le 5 février dernier, le Forum du Dialogue Politique Libyen, réuni à Genève sous l’égide de l’ONU dans le but de trouver un successeur au premier ministre Fayez El-Sarraj, a nommé le tandem Abdulhamid Dabaiba et Mohammed Younes El-Menfi à la tête du pays.

Abdulhamid Dabaiba, nouveau Premier ministre, est un riche homme d’affaires et ancien proche de Mouammar Kadhafi. Mohammed Younes El-Menfi, nouveau Président du Conseil présidentiel, était quant à lui l’ancien ambassadeur libyen en Grèce. Les deux hommes vont devoir relever le pays d’une crise qui dure depuis une décennie. Ils ne disposent que de 9 mois pour organiser les élections générales, relancer l’économie pétrolière et forcer le départ des troupes étrangères du territoire (militaires turcs, mercenaires russes, miliciens syriens et soudanais principalement). Si certains pensent que le programme est trop ambitieux, le véritable défi sera d’unir une Libye déchirée.

Mettre fin à la division interne qui règne dans ce pays est l’une des clés de voûte de la réconciliation nationale. La Libye est traditionnellement divisée en trois régions : le Fezzan (Sud), la Cyrénaïque (Est) et la Tripolitaine (Nord-ouest). En février 2011, l’élan révolutionnaire mais aussi les interventions étrangères mettent fin au pouvoir du Colonel Kadhafi et ouvrent la boîte de pandore. Les divisions avaient permis le renforcement du pouvoir de Kadhafi. À sa mort, les fractures profondes apparaissent. La Libye a subi le démantèlement des structures étatiques et une revalorisation du système tribal durant l’ère Kadhafi et tout cela malgré le discours révolutionnaire et progressiste du Guide créant alors un véritable paradoxe politique. La rente pétrolière a empêché la création d’une relation entre la population et l’État, et, en encadrant les populations, les tribus ont joué un rôle social et politique de premier rang. L’instrumentalisation du tribalisme par le régime a empêché la formation d’une véritable société civile. Le clientélisme a largement permis une paix sociale de 42 ans. La Libye est pleine de plaies, profondes et anciennes.

Le 17 février 2011, la révolution éclate. Dès le 27, le Conseil National de Transition (CNT) est créé. Le 17 juillet 2012 les Libyens désignent les membres du Congrès Général National (CGN), assemblée de 200 membres pour prendre le relais du CNT. En août 2014, la Chambre des représentants, assemblée de 200 membres également élus par le peuple, remplace le CGN et s’installe à Tobrouk (Est libyen). En avril 2016, le Haut Conseil d’État nouvellement créé à Tripoli, tente de s’approprier le pouvoir législatif et provoque une fracture institutionnelle et politique. La Libye unie n’existe plus même à l’échelle des institutions politiques. Entre temps, « l’Opération Dignité » du Maréchal Khalifa Haftar était lancée au printemps 2014 pour, soi-disant, mettre fin au terrorisme et aux groupes radicaux. En réalité son ambition est ailleurs, il veut prendre le pouvoir. L’opération du Maréchal Haftar et le ballet des institutions entre 2011 et 2016 sont la démonstration de la fragilité politique et sociale de la Libye.

En 2019 la Libye est toujours en guerre. Le Maréchal Haftar est l’unique maître à l’Est et le gouvernement de l’Ouest butte pour trouver une solution à la division du pays. Les luttes intestines, les guerres entre milices et le combat mené contre les jihadistes gangrènent le pays. Le 2 janvier 2020, La Turquie s’autorise le déploiement de son armée en Libye. Le lendemain, Haftar appelle à la mobilisation générale contre l’ingérence turque et dans la foulée, la Russie renforce sa présence en Cyrénaïque. Le conflit s’internationalise et confirme l’alliance entre la Turquie, le Qatar et le Gouvernement d’Union Nationale libyen (GAN). En face, la Russie et les Émirats Arabes Unis soutiennent le Maréchal Haftar et son Armée Nationale Libyenne. Jusqu’en août 2020, Tripoli reste assiégée. Précipité par les avancées turques et la menace de l’Égypte de rejoindre le conflit ainsi que la crise sanitaire mondiale, un accord de cessez-le-feu est signé le 23 octobre. Le temps des négociations peut enfin commencer.

Dans ce chaos, la Turquie d’Erdogan avance ses pions. L’accord turco-libyen sur les zones économiques exclusives avait essuyé le refus de l’ancien chef de l’État libyen, Aguila Salah. Mais le choix d’El Menfi par le Forum de Genève en février 2021 est de bon augure pour l’alliance turco-qatari qui conforte sa mainmise sur le Conseil présidentiel. El Menfi prend sa revanche sur Aguila au nom de l’Est libyen d’où viennent les deux hommes. Mais si Aguila était en parfaite harmonie avec l’homme fort de l’Est Khalifa Haftar, Mohammed Younes El Menfi est étranger à la tribu du Maréchal.

Depuis 10 ans, la Libye est dans une tempête qui semble interminable. Sur la route de la réconciliation, le chemin est encore long. La division interne, instrumentalisée depuis l’arrivée de Kadhafi et les ingérences étrangères broient le pays. El Menfi et Dabaiba, différents sur tous les points, sont à l’image du peuple libyen. Seul leur travail associé peut porter les germes d’une réconciliation nationale attendue depuis un demi-siècle. 10 ans après la Révolution, la Libye se bat toujours contre les fantômes de la Jamahîriya de Kadhafi. 10 ans après, Tripoli se cherche encore une sortie de conflit. Son échec révolutionnaire n’est pas anodin, il était écrit, et continue de l’être en fonction des intérêts des différents acteurs impliqués.