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Le henné au Maghreb : entre symbolisme et perpétuation des traditions ancestrales

Le henné, cette poudre que l’on peut trouver dans de nombreux commerces, est bien plus qu’un produit cosmétique. Si son usage se développe de plus en plus en Europe, il reste profondément ancré dans les cultures maghrébines, mais aussi indiennes. Dans l’Occident du monde arabe, l’art du henné est une pratique empreinte de symboles et essentielle dans la perpétuation des coutumes. La modernisation des sociétés s’accompagne d’une préservation de traditions, qui sont transmises de génération en génération.

Qu’est ce que le henné ? 

Le henné revêt une signification particulière. Appelé « hena » en arabe (حناء), ce terme provient de l’hébreu « hen » qui signifie « trouver grâce ». Au cours du mariage qui doit apporter la baraka aux futurs mariés, c’est-à-dire la bénédiction, le henné participe à la nécessité pour la mariée de trouver grâce aux yeux de Dieu mais aussi de son futur époux. Commercialisé sous forme de poudre à diluer, il est obtenu à partir des feuilles d’une plante originellement cultivée en Iran et en Mésopotamie (Irak actuel), le Lawsonia inermis. Ce nom fait référence au pigment qui est présent dans la feuille du henné, à savoir le lawsone. Il pousse dans des régions tropicales et subtropicales, essentiellement en Asie du Sud, en Afrique et en Australie.

Il existe trois types de henné dans le commerce : le henné dit « naturel », le henné « neutre » et le henné « noir ». Chacun possède des vertus bien particulières. Le henné « naturel », produit à partir du Lawsonia inermis, apporte une coloration rouge, cuivrée ou orangée. Appliquée sur la peau, la pâte est de couleur verte et finit par prendre des teintes orangées au moment du séchage. Le henné « neutre » provient du Cassia obovata et n’apporte pas de coloration mais recèle de multiples propriétés. Il apporte de la force, de la brillance, de la souplesse et du volume aux cheveux. Il permet aussi de réguler la production de sébum et apaise le cuir chevelu. Ainsi, il est utilisé dans la préparation de masques capillaires. Le henné « noir » est issu de l’Indigofera tinctoria et est souvent utilisé dans les teintures capillaires. Toutefois, les produits à base de henné noir disponibles dans le commerce contiennentc des additifs dangereux avec un certain degré de toxicité et peuvent provoquer des réactions allergiques, d’où la nécessité d’être vigilant. Ce type de henné peut être utilisé pour la coloration des cheveux, des ongles, des pieds et des mains, et la teinte est alors noire, voire marron. 

Il existe également le henné blanc dont l’usage se développe de plus en plus, cependant il n’est pas naturel. Il résulte du mélange d’actifs cosmétiques et peut, de ce fait, être également allergène. En revanche, il est de plus en plus utilisé dans les mariages, le blanc étant symbole de pureté et d’innocence. Il orne les mains de la mariée telle de la dentelle.

© La Vie éco – La pose du henné par la nekkacha lors de la cérémonie du henné au Maroc
© La Vie éco – La pose du henné par la nekkacha lors de la cérémonie du henné au Maroc

Des usages symboliques aux significations variées 

Le henné possède une valeur symbolique très importante puisque lorsqu’il est utilisé de manière esthétique sous forme de tatouages, chaque motif est porteur d’une signification particulière. Un trait vertical désigne la source de la vie, le souffle de Dieu, alors que deux traits marquent le dualisme présent en chacun. La spirale représente l’harmonie et le cercle est le symbole de l’absolu. Le point incarne quant à lui le foyer, le centre. Le croissant de lune représente la matière qui naît, vit et meurt, et le carré est une extension du croissant. Enfin, la rosace évoque l’eau et la féminité au niveau de la pointe qui va vers le bas tandis que la pointe vers le haut renvoie au feu et à la virilité. Au Maghreb, les motifs les plus utilisés sont des formes géométriques. Ces tatouages sont également agrémentés de motifs floraux. On retrouve aussi des symboles spirituels propres au Maghreb comme la khamsa, ou main de Fatima, censée protéger du mauvais œil, et d’autres idéogrammes traditionnels comme ceux du nakch marocain (sculpture du corps au henné). Ce dernier s’inspire de motifs que l’on retrouve en sculpture, bijoux, peintures, broderies, tapis et façades de maisons. À noter que les cultures arabes et amazighes n’utilisent pas les mêmes motifs. Par exemple, les formes privilégiées par les kabyles pour appliquer le henné sont bien plus géométriques et ils utilisent des symboles amazighs propres à leur culture.

Les usages du henné sont multiples, il peut être utilisé par les femmes au quotidien pour des raisons esthétiques, comme produit cosmétique pour ses diverses vertus ou encore dans le cadre de pratiques médicinales. Par ailleurs, la forte valeur symbolique du henné l’a ancrée dans des usages en lien avec les croyances religieuses et dans le cadre de célébrations variées. Il ponctue les grands moments de la vie et on le retrouve donc au cœur des cérémonies de naissances,  baptêmes, circoncisions et mariages. Plus particulièrement, c’est un rituel incontournable lors des mariages maghrébins, qui débute dès l’après-midi : la traditionnelle cérémonie du henné. En effet, en lien avec son étymologie susmentionnée, le henné est perçu comme apportant de la chance et de la prospérité au futur couple, mais aussi sensualité et fécondité. Ce rituel est considéré comme un moment riche en significations et en émotions pour la femme qui se marie car il signe le passage de jeune fille à femme mariée, dans le même esprit qu’un enterrement de vie de jeune fille.  

© Pinterest – La future mariée après la pose du henné
© Pinterest – La future mariée après la pose du henné

Le rituel du henné dans les pays du Maghreb : un incontournable de la célébration du mariage 

C’est une pratique commune à tous les pays du Maghreb et qui rassemble les membres féminins de la famille et les amies proches de la mariée. Des cadeaux symboliques sont apportés à la future mariée, généralement du sucre, des fruits secs et enfin des œufs, symboles de fécondité. Lors de cette cérémonie, c’est une professionnelle, dont le nom diffère selon les pays, qui applique le henné sur les mains et les pieds de la mariée. Les invitées pourront ensuite se faire également appliquer du henné à leur tour. Cette cérémonie se poursuit par une soirée festive, rythmée par les chants traditionnels et la danse. Mais chaque société a ses spécificités en termes de déroulement de la cérémonie. Elle peut par ailleurs avoir lieu dans les jours précédant le mariage, la veille ou le jour du mariage dans certains cas. En effet, au Maghreb, le mariage est précédé d’une longue phase préparatoire et pendant les trois à sept jours avant le jour J, différents rituels et cérémonies ont lieu en l’honneur de la future mariée. Dans certaines familles il importe que la cérémonie du henné se tienne le vendredi, jour sacré pour les musulmans. On parle souvent de nuit du henné mais aussi de jour du henné car toute la journée est ponctuée par les préparatifs de cet événement.

Traditionnellement, en Tunisie, le mariage dure sept jours. C’est lors du quatrième jour qu’a lieu la cérémonie du henné. La femme qui est chargée d’accompagner et de prendre soin de la future mariée s’appelle la hannena. Elle  applique un mélange de henné et d’eau de rose sur les mains et les pieds de la femme. En Tunisie, le henné est considéré comme un porte-bonheur qui accompagnera la mariée dans les débuts de sa nouvelle vie.  Lors du cinquième jour ou jour du harkous, en continuité avec la veille, une deuxième couche de henné est appliquée sur ses mains et ses pieds et est agrémentée de dessins et motifs divers. C’est également le jour de la fameuse épilation au sucre pour la jeune femme afin que sa peau soit la plus éclatante possible. La séance s’achève par l’application d’une pierre blanche, appelée barouk, mélangée à de l’eau de rose afin d’apaiser la peau.  Il s’agit d’une encre noire à base de noix de galle, de clous de girofle et de fer, riche en senteurs.

En Algérie, la soirée du henné a généralement lieu la veille du mariage. Il s’agit de la première étape de la cérémonie du henné. Afin de célébrer ce moment, les invitées, qui sont exclusivement des femmes, se rendent au domicile de la future mariée. Le henné est déposé sur ses mains et ses pieds, et sur la partie extérieure de la main on dessine des fleurs. Une fois la pose effectuée, la soirée se poursuit dans une ambiance festive. Le futur marié, quant à lui, passe la soirée accompagné d’hommes et reçoit lui aussi du henné déposé dans la paume de sa main droite.Le jour suivant, la mariée quitte le domicile familial, accompagnée de ses invitées pour la célébration du mariage civil puis du mariage religieux. Après le mariage, la mariée est emmenée dans son nouveau domicile et se déroule alors la deuxième partie de la cérémonie du henné. Elle marque l’union de la femme et de son époux qui partagent ce moment ensemble. Un objet rond est placé dans la paume de la main de la jeune mariée, en général une pièce. Ensuite, c’est l’époux qui reçoit du henné dans la paume de la main ou sur l’auriculaire. En Algérie, le henné est particulièrement cuivré, tout comme en Egypte, mais sa teinte est plus claire. Selon le temps de pose, il passe d’un cuivré clair à un roux intense.

Au Maroc, comme en Algérie, la veille du mariage, la fiancée reçoit les membres féminins de sa famille proche et ses amies chez elle pour la cérémonie du henné. Les invitées sont vêtues de tenues traditionnelles,  comme des caftans ou des takchitas, et la fiancée porte quant à elle un caftan en général vert (pour rappeler la couleur d’origine du henné) et or paré de pierres précieuses et de bijoux. C’est la neggafa qui occupe le rôle d’habilleuse auprès de la future mariée, l’accompagne lors des multiples rituels du mariage et la prépare pour la cérémonie du henné. La nekkacha ou tatoueuse de henné est, elle, chargée d’appliquer le henné sur les mains et les pieds de la future mariée et de réaliser des motifs souvent floraux et des arabesques marocaines.On place alors devant la mariée un plateau en argent sur lequel sont déposés de l’eau de rose, le henné, des œufs, du sucre et des dattes. Ils sont symboles de fertilité, de douceur et de chance. Pendant la pose du henné, les invités entonnent des chants et dansent. Ensuite, la nekkacha propose aux autres femmes de se faire tatouer au henné.

Sources :