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Algérie: panorama du Hirak, 2 ans après

(Photo : Manifestation du vendredi 14 février 2020 à Alger © AFP / Billal Bensalem / NurPhoto)

 Le 22 février dernier, les Algériens fêtaient les deux ans du Hirak (حراك), un mouvement contestataire qui depuis 2019 cherche à mettre fin à un système issu de la guerre d’indépendance. Ces mobilisations entrent en résonance avec la vague des Printemps arabes de 2011 et matérialisent un ras-le-bol généralisé à l’ensemble de la population algérienne. Quelles en sont les causes ? Comment ce mouvement s’organise-t-il ? Quel bilan peut-on en faire?

Le 10 février 2019, Abdelaziz Bouteflika annonce sa candidature à un cinquième mandat présidentiel, près de 20 ans après sa première élection déjà dénoncée par ses adversaires d’alors. Cependant, sa volonté d’être reconduit en tant que Président de la République Algérienne Démocratique et Populaire est, dès le 16 février, condamnée par les Algériens. Moins d’une semaine après son annonce, le Président et plus généralement le régime en place, font l’objet de mouvements de contestation d’abord à Kherrata (à 300 km à l’Est d’Alger) et gagnent rapidement les plus grandes villes du pays. Le vendredi 22 février 2019 marque le début du Hirak algérien (“mouvement” en arabe) qui, en dépit de la pandémie du coronavirus, se prolonge. Dès lors, la contestation s’organise : les manifestations deviennent le rendez-vous hebdomadaire de tout un peuple. Chaque vendredi, des centaines de milliers d’Algériens sortent manifester pacifiquement (et le mardi pour les étudiants) contre le système politique, la corruption, la gestion rentière des ressources énergétiques… Ce mouvement d’une ampleur inédite demande l’instauration d’une « vraie démocratie » où la souveraineté est détenue par le peuple et, dès ses débuts, se montre force de propositions (Benderra, 2020). Plus qu’un mouvement d’opposition, le Hirak est un mouvement organisé via les réseaux sociaux (près de 90% de la population algérienne dispose d’un accès à internet).

Situation économique

La situation économique de l’Algérie se dégrade depuis 2014, lorsque le prix des hydrocarbures chute, or ce sont les principaux revenus du pays (60% des recettes du budget étatique). En 2021, d’après des projections de la Banque Mondiale, le déficit budgétaire de l’État Algérien devrait atteindre 14% de son PIB. Depuis 2013, le revenu national brut par habitant est en constante diminution. Le chômage des jeunes augmente de façon régulière et sans perspective d’amélioration dans les années à venir.

Situation des jeunes

La situation est particulièrement difficile pour la jeunesse algérienne, or 50% de la population a moins de 30 ans. Parmi eux, nombreux sont étudiants soit près de 1,7 millions (dont 2/3 de femmes), soit 4 fois plus depuis que Bouteflika est au pouvoir, mais il n’y a pas de débouchés ni d’emploi. Ainsi, beaucoup de jeunes diplômés ne trouvent pas de travail et sont contraints de se contenter de faibles revenus issus de métiers tels que gardien de parking. Cette situation encourage les plus aisés d’entre eux à quitter l’Algérie pour trouver un emploi et construire leur vie. C’est finalement ce qui a poussé les jeunes à contester le pouvoir. Ils représentent une part importante des manifestants, notamment les jeunes défavorisés qui jusqu’alors n’étaient que peu ou pas politisés. Ce mouvement du Hirak est donc l’illustration de l’espoir de ces jeunes qui continuent de croire en leur pays et leur désir de pouvoir y prospérer.

Acquis du Hirak

Rapidement, le pouvoir comprend que des concessions seront nécessaires. Ainsi, le 2 avril 2019, soit à peine 3 mois après le début des manifestations, Bouteflika retire sa candidature à un 5ème mandat et démissionne. Par la suite, l’élection présidentielle est reconduite à deux reprises, si bien qu’en dépit du délai de 90 jours imposé par la Constitution algérienne au Président par intérim Abdelkader Bensalah, elle ne se déroule finalement que le 12 décembre 2019 et voit Abdelmajid Tebboune prendre la tête du pays (Premier Ministre algérien en 2017). Un remaniement gouvernemental est alors mis en place, de même que certains hommes d’affaires, anciens ministres et responsables de la police politique sont arrêtés pour corruption ou pour complot.

Ces changements ne satisfont pas la foule qui a bien conscience que l’objectif premier de ces concessions est de limiter la persistance du mouvement et de préserver l’essentiel du système (Benderra, 2020). Il faut par ailleurs mentionner que malgré ces quelques acquis, la répression des manifestants existe, principalement au travers d’arrestations ou de tentatives d’intimidation des blogueurs et des activistes sur les réseaux sociaux.

Un autre des acquis du Hirak est la démonstration d’un peuple uni : des drapeaux amazighs flottent aux côtés de drapeaux algériens, des hommes et des femmes (bien que moins nombreuses) de toutes les strates de la société, de tous âges manifestent main dans la main. Pour Houari Barti, il s’agit d’un « réveil de la torpeur » (Barti, 2020).

La pandémie du coronavirus a certes mis entre parenthèses les manifestations, néanmoins, les activistes et les manifestants algériens continuent à défendre leurs idées au travers des réseaux sociaux et n’entendent pas s’arrêter là.

De nombreux éléments pourraient être ajoutés à cette présentation générale et non-exhaustive du Hirak, comme le combat entrepris pour les droits des femmes, les demandes formulées par les familles de disparus, la résurgence de la ville de Constantine, qui avait été marginalisée par le pouvoir au profit d’Alger (Azouz, 2020), mais aussi la créativité et l’expression artistique dans les manifestations…