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La mission Mars des Emirats Arabes Unies, une réussite arabe au féminin

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(Photo : Sonde Al-Amal / AFP)

Le 9 février 2021, les Emirats Arabes Unis ont annoncé l’insertion de la sonde Al-Amal (“l’espoir” en français) en orbite martienne, devenant ainsi la cinquième puissance à réaliser une telle opération après les Etats-Unis, l’ex-URSS, l’Europe et l’Inde. Cette réussite vient couronner le travail acharné, débuté en 2014, d’une équipe de scientifiques qui a travaillé en collaboration avec des universités coréennes et américaines pour acquérir la technologie nécessaire. Les Emirats Arabes Unis se placent ainsi en leader régional, d’autant plus qu’il s’agit de la première mission spatiale lancée par un pays arabe vers une autre planète. La sonde, lancée le 19 juillet 2020, a pour objectif d’étudier l’atmosphère martienne et sa météorologie ainsi que leurs évolutions sur le long-terme.

Si cette annonce a eu autant d’écho à travers le globe, c’est non seulement pour l’exploit technologique qu’elle constitue, une telle opération spatiale impliquant la maîtrise de technologies pointues, mais aussi pour l’avancement sociétal qu’elle représente. En effet, la mission martienne des Emirats est composée en grande partie de femmes, qui sont 30% des effectifs globaux mais 90% des scientifiques. Elle est dirigée par Sarah el Amiri, qui est également responsable de l’Agence spatiale émiratie et ministre d’Etat aux Technologies avancées. Par sa mission Mars, le pays souhaite se positionner en centre technologique et spatial du Moyen Orient, mais aussi en vitrine du progressisme et de l’égalité hommes-femmes.

Née en Iran, diplômée en ingénierie de l’Université américaine de Sharjah, Sarah el Amiri commence sa carrière sur le Satellite 1 de Dubaï en 2009, puis gravit les échelons jusqu’à diriger la mission Mars. Elle est aujourd’hui applaudie et affichée par le gouvernement comme un modèle de success-story féminine dans un pays où les femmes font face à de nombreuses barrières légales et sociétales dans l’épanouissement de leur vie professionnelle. La scientifique envoie un message positif à toutes les femmes désireuses de concilier vie professionnelle et familiale, étant elle-même mère de deux enfants en bas âge. 

Saluée aux côtés de 49 autres jeunes scientifiques par le World Economic Forum pour sa contribution dans les domaines de la science, de la technologie et de l’ingénierie, Sarah el Amiri est nommée présidente du Conseil Émirati pour la Science en 2016, puis ministre d’Etat en 2017. Elle est la première femme émiratie à prendre la parole lors d’un évènement international, alors qu’elle est amenée à présenter la mission Mars lors du Forum de Davos en 2019. La BBC l’a classée en 2020 parmi les 100 femmes les plus inspirantes et les plus influentes du monde. Pour couronner le tout, la scientifique, qui a à peine 32 ans, est la plus jeune responsable d’une agence spatiale dans le monde.

L’ascension remarquable de Sarah el Amiri est à recontextualiser dans un projet global des Emirats Arabes Unis visant à promouvoir le rôle des femmes dans la vie active, ainsi que celui de la jeunesse notamment dans le domaine des sciences et de la technologie. Depuis plusieurs années, le pays se rêve en hub technologique du Moyen-Orient, une « start-up nation » à la pointe de l’innovation, en mesure de rivaliser avec la Silicon Valley. En ce sens, la participation des femmes est cruciale puisqu’elles représentent une part importante des diplômés de l’enseignement supérieur.  Encore largement concentrée dans le secteur public, pourvoyeur de stabilité et de confort, la main d’œuvre féminine commence à investir le secteur de l’innovation, même s’il reste difficile pour une femme de devenir entrepreneure ou gravir les échelons au sein de son entreprise.

(Photo : Sarah el Amiri, directrice de l’Agence spatiale émiratie, est à l’origine du lancement réussi d’une sonde vers Mars en février 2021 / Fondation World Economic Forum)

De fait, les femmes sont au cœur de la stratégie de diversification de l’économie émiratie vers un modèle « knowledge-based », comme l’illustre la mission Mars. Le pays a en effet dépensé plus de 5.2 milliards de dollars en fonds publics et semi-privés dans le secteur spatial entre 2014 et 2017. Sarah al Amiri a ainsi été au cœur de la conception de la stratégie spatiale du pays, qui a pour ambition d’installer une colonie humaine sur Mars d’ici à 2117. Afin de faciliter la recherche, les Emirats Arabes Unis prévoient de construire une « ville de la science » dans les déserts de Dubaï qui simulerait les conditions de vie sur Mars. Il s’agit d’un spectaculaire bond en avant, pour ce pays qui a connu un développement accéléré depuis la découverte de gisements d’hydrocarbures dans les années 60. Attachée aux mœurs bédouines, vêtue de l’abaya noire traditionnelle, la scientifique est présentée par les autorités comme le symbole de la modernité à l’émirati.

Il est utile de souligner que le monde arabe est massivement présent dans le domaine spatial : les dépenses régionales ont doublé au cours de la dernière décennie, atteignant les 1.3 milliards de dollars en 2020. Si l’Arabie Saoudite prévoit d’investir 2.1 milliards de dollars dans son programme spatial d’ici à 2030, Oman ambitionne quant à elle de lancer son premier satellite en 2024.  L’Organisation Arabe des Satellites de Communication (ou ArabSat) est de même un acteur important dans le domaine, dont la mission est de fournir des services de télécommunications par satellite publics et privés à ses 21 pays membres. Créée en 1976 par les membres de la Ligue Arabe, elle siège à Riyad et, l’Arabie Saoudite est son principal actionnaire. Sa flotte actuelle est composée de cinq satellites tous construits en France, l’organisation prévoyant d’acquérir trois satellites supplémentaires dans les prochaines années.

Les pays arabes sont ainsi pleinement engagés dans la conquête de l’espace, une aventure qui avait débuté au Liban, en 1960. En effet, le pays avait alors abrité le premier programme spatial civil au sein de l’Université Haigazian de Beyrouth, aboutissant au lancement de la fusée Cèdre IV qui avait atteint une altitude de 140 km. Il est certain que le potentiel des pays arabes est immense dans ce domaine et qu’il serait davantage optimisé à travers une coopération régionale, à l’image de l’Agence Spatiale Européenne. Cette mission Mars constitue donc un véritable tournant tant dans l’accomplissement des ambitions technologiques Émiraties que dans la valorisation de la place des femmes dans les sociétés arabes.

Sources :

  • “Mars et bientôt la lune ? Comment le Moyen-Orient participe aussi à la conquête spatiale”, Middle East Eye, Dario Sabaghi, 2021
  • “Who is Sarah Al Amiri? The 33-year-old scientist who led UAE’s Hope orbiter mission”, The Print, Sandhya Ramesh, 2021
  • “Sarah Al-Amiri, jeune femme ministre derrière la « mission Mars » des Emirats”, Challenges, 2021
  • “Sarah el Amiri”, Berkeley Global Science Institute