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L’hôtel Saint Georges ou le témoin de l’histoire du Liban

( Photo : Liban, Beyrouth, 1960, Hôtel Saint-Georges. Source : SIPA. )

L’Hôtel-Saint Georges, le symbole d’une époque

L’hôtel Saint-Georges, construit dans les années 1920 mais aujourd’hui fermé au public, se situe du côté de la corniche de Beyrouth, près du port de plaisance de Zaytouna Bay. Symbole d’une époque perçue comme l’apogée du pays, un âge d’or libanais, cet hôtel représente à lui seul toute une porte ouverte sur le passé.

L’hôtel Saint Georges a été le théâtre d’une vie tranquille, de l’ostentation des richesses  et d’intrigues dignes de romans d’espionnage. Des souvenirs vivaces tourmentent encore tous ceux qui ont eu la chance de passer ne serait-ce qu’une nuit dans cet hôtel. Un libanais raconte à juste titre : « Avant la guerre civile (1975-1990), le Liban était la capitale du monde et le Saint-Georges était la capitale du Liban ».

Construit dans les années 1920 sous le mandat français, sous la supervision de trois architectes, dont Auguste Perret et Antoine Tabet, le bâtiment arbore un style architectural typique des années 1930 : épuré et pragmatique. Inauguré en 1932, il a par la suite connu une impressionnante rénovation du fait de sa popularité, et sa superficie double pour atteindre 2000m² suite à un décret présidentiel.

Pendant les 40 ans qui suivirent sa construction, l’hôtel a accueilli un grand nombre de personnalités renommées internationalement, dont la diva arabe Oum Kalthoum mais aussi des stars hollywoodiennes telles que Richard Burton. Ils séjournent dans ce lieu où le temps s’arrête, ou les plaisirs de la vie prennent le pas sur le contexte extérieur. Ils se retrouvent au bar pour siroter un cocktail, plongent dans la piscine – qui, jusqu’à récemment, demeurait la seule partie de l’hôtel encore accessible au public- au coeur de Zaytouna Bay, et le soir venu, se rendent sur la terrasse qui offre une vue divine sur la mer Méditerranée. Outre son rayonnement culturel et le symbole d’un Beyrouth cosmopolite des années 1950-1970, le Saint Georges fut le lieu de nombreuses intrigues politiques.

Des sources historiques attestent que des groupes ont choisi ce lieu pour se réunir et discuter de la préparation d’un coup d’Etat, d’un assassinat politique ou tout simplement de complots à l’encontre de leaders politiques ou chefs d’Etat de la région. On y croisait également des entrepreneurs, des Émirs des monarchies pétrolières mais aussi des espions internationaux. L’agent double anglo-soviétique Kim Philby était un habitué, croisant le chemin de Miles Copeland, homme d’affaires et musicien travaillant pour la CIA. Mais il n’était pas le seul, l’ancien chef de bureau de la CIA, Wilbur Crane Eveland étant également un accoutumé des lieux. Certains membres de l’organisation américaine avaient fait de ce palace leur repère à Beyrouth. Une anecdote racontée par un employé de l’hôtel reste symbolique. Un jour, le président de la chambre du Parlement arriva au Saint Georges, plusieurs députés manquant à l’appel, et les trouva au bar de la piscine de l’hôtel. Cette anecdote, qui ne précise pas l’identité de ces personnalités politiques, montre en tout cas que le Saint Georges symbolisait un lieu de rencontre et de socialisation central dans la ville de Beyrouth et même dans la vie du pays. 

Un bâtiment ravagé par la guerre civile

L’année 1975 marque un tournant lors duquel le Liban entre dans l’enfer d’une guerre civile sanglante, et le Saint Georges n’est pas épargné. Dès les premiers coups de feu, les habitués et la clientèle de luxe désertent les lieux. Des miliciens prennent place et font de l’hôtel un lieu de surveillance de la ville et de rassemblement. Sous les bombes et les tirs d’artillerie, l’hôtel est très endommagé et change de visage, devenant alors un marqueur urbain de la violence.

Après la guerre, un bref espoir naît de la reconstruction, celui de la réconciliation entre les communautés, d’un Liban en paix et prospère, mais ils ont vite été déçus. Ce lieu mythique reste le centre d’affrontements, mais cette fois-ci judiciaires symbolisant les conflits politiques et économiques de la reconstruction du Liban et les défis de la réconciliation nationale.

L’Hôtel Saint-Georges et les enjeux de la reconstruction 

Depuis 1990, une bataille juridique oppose le propriétaire du Saint Georges Fadi Khoury, à la société Solidere, Société Libanaise pour le Développement et la Reconstruction du centre-ville, fondée par l’homme politique multimilliardaire Rafiq Hariri (1944-2005), ex Premier Ministre libanais. A la source du conflit, le propriétaire refuse de céder les droits de construction à la société, ne souhaitant pas la voir s’approprier ce lieu. En effet, la société souhaite racheter le terrain de l’hôtel pour en faire une marina, et aujourd’hui encore elle fait face à plusieurs accusations et enquêtes pour extorsion de propriété. L’hôtel est jusqu’à nos jours fermé et sa reconstruction semble être impossible. Coïncidence qui semble teintée d’ironie, c’est alors que son cortège passait près de cet hôtel que fut assassiné Rafiq Hariri, le 14 février 2005.

L’hôtel Saint-Georges n’accueille plus de public aujourd’hui, et sur sa façade trône une banderole “STOP Solidere”. De nombreuses associations dénoncent cette société, en charge de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth après 1990, principalement pour des raisons d’urbanismes et des accusations d’extorsions de propriétés. Source : Beirut Today

Par ailleurs, la reconstruction de Beyrouth, menée sous l’égide de Rafiq Hariri, a également eu pour conséquence majeure la destruction de tout un pan du  patrimoine historique de la ville, principalement celui du quartier où se situe l’hôtel. Ces débats ont par exemple accompagné la construction de Zaytouna Bay, projet qui devait donner un nouveau souffle au tourisme. Certains y voyaient  une vaste entreprise de promotion du néolibéralisme par la société Solidere et d’effacement de l’architecture urbaine historique de Beyrouth. Les destructions sont importantes, en effet, le plan initial ne prévoyait qu’un seul plan de sauvegarde de certaines zones de la ville. Selon le libanais Y.Bou Melhem,  hostile à ce projet et porte-parole de l’association « SAVE BEIRUT HERITAGE »: « Beyrouth a été plus défigurée et détruite en temps de paix qu’en temps de guerre ».

Témoin des heures sombres comme des moments de prospérité de l’histoire du Liban, ce lieu emblématique a été le théâtre de nombreuses aventures et a accompagné le Liban dans ses multiples défis. Par son passé, le célèbre hôtel peut symboliser un certain patriotisme et attachement au cosmopolitisme libanais et à Beyrouth comme carrefour de sociabilités. Cependant, l’histoire contemporaine de l’hôtel révèle de profonds défis, au premier rang desquels les débâcles judiciaires dans lesquelles la société Solidere est toujours empêtrée. Il symbolise également de nombreuses questions économiques, dans un contexte où le Liban traverse une crise sans précédent, et, enfin, la question centrale de l’urbanisme et de la protection du patrimoine et de l’identité architecturale. Un lieu si emblématique de Beyrouth pourra-t-il un jour devenir un symbole de renouveau? La question est légitime.

Si, pour Salvador Dali, le centre du monde était la gare de Perpignan, pour de nombreux libanais c’était le Saint-Georges. Pour conclure sur la nostalgie qu’inspire l’histoire de ce lieu, nous citerons Georges Corm, historien, intellectuel et ancien ministre libanais :

« « L’emplacement était absolument féerique. Le Saint-Georges, c’était une douceur de vivre avec le charme d’un Beyrouth disparu.”

Sources :

  • “Beyrouth : Histoire d’une renaissance”, Historia Hors Série N°10,  Juin 2019
  • “L’hôtel Saint-Georges, mémoire des jours d’insouciance, obtient son permis de restauration”, L’Orient le Jour, Société-urbanisme, Février 2020
  • “Liban: le mythique hôtel Saint-Georges rêve de sa gloire d’antan”, La Dépêche, Mars 2021.